Je reviens du Cap, en Afrique du Sud. J’ai profité de l’opportunité de pouvoir partir dans cette ville que je ne connaissais pas, en hommage à mon grand-père né aux Antilles qui, gravement malade du cœur, plaçait tous ses espoirs de survie dans la possibilité, offerte par le professeur Barnard qui y officiait comme chirurgien, de bénéficier peut-être un jour d’une transplantation cardiaque. En fait, il lui aurait simplement suffi qu’on lui implante un pacemaker, mais il est décédé quelques mois avant que cette technologie révolutionnaire à l’époque n’ait été mise au point.
Curieusement, Le Cap m’est apparu très vite familier : le Château de Bonne Espérance ressemble, en beaucoup plus grand, au fort de Roseau, à la Dominique, qui a été transformé en hôtel et où j’ai dormi ; les rues étroites et se coupant à angle droit sont pareilles à celles de Fort-de-France à la Martinique, mais en plus longues ; la cathédrale Saint-Georges présente des similitudes avec la basilique de Castries, à Sainte-Lucie, mais en bien plus vaste ; le quartier Bo-Kaap est aussi coloré que les rues de Willemstad, à Curaçao, et les habitants s’interpellent bruyamment dans la rue même s’ils ne se connaissent pas, comme dans toutes les zones rurales des Antilles. Et puis il y a des montagnes partout, comme à l’ile de Grenade et des gratte-ciels au bord de l’océan comme aux Bahamas.
C’est comme si j’avais toujours vécu dans cette ville, à moins que mes pas n’aient été guidés par une âme familière qui s’y serait installée paisiblement.
L’esprit encore rempli de ces belles images, je me rends, pour mon retour triomphal au sein des festivités parisiennes, à l’Espace Sorbonne 4, au 4 rue de la Sorbonne, dans le Vème arrondissement de Paris. J’aime bien ce lieu, tenu de main de maitre par Antonio Francica qui propose toujours des expositions intéressantes et hors des sentiers battus, avec parfois des performances ou des intermèdes musicaux en appui des artistes qu’il présente. Aujourd’hui, c’est un peintre japonais, Yuki Matsuoka qui nous montre ses toiles sur le thème de « la véritable identité des Yokaī ». Il accueille personnellement chaque personne qui arrive, dans son kimono noir, en distribuant cérémonieusement sa carte, ce qui ne manque pas d’élégance.
Les Yokaī sont l’équivalent japonais des zombies, omniprésents dans la culture antillaise au sein de laquelle j’ai baigné, enfant, grâce notamment à mon grand-père qui adorait me raconter des histoires de phénomènes surnaturels ou inexpliqués. Dans la logique des iles caraïbes, le hasard n’existe pas. Tous les évènements qui interviennent dans la vie des gens, qu’ils soient heureux ou malheureux, s’expliquent par de subtils enchainements d’actions liés aux forces de l’esprit.
Le tableau intitulé « Heaven lies not in the sky » (le paradis n’est pas dans le ciel) pourrait être d’inspiration vaudou. Il montre une scène paisible où une belle femme décapitée semble ressentir une grande sérénité au milieu de gentils monstres. Ça pourrait être, pour ceux qui le regardent, une protection contre le mauvais sort, où les personnages qui surgissent autour de la tête sans vie sont là pour effrayer et éloigner les entités néfastes.
Comme le suggère son titre, la scène ne se passe pas dans un paradis lointain, en suspension dans les airs. Il est proche et palpable, venu peut-être des entrailles de la terre, puisqu’au Japon le rite funéraire comprend une crémation puis un ensevelissement des cendres. Peut-être la femme décapitée est-elle une proche? S’agit-il, comme dans les antiques religions romaines et grecques, de mânes, ces divinités chtoniennes associées au défunts? L’espace d’un instant, je repense à tous ceux qui nous ont quitté, le dernier en date étant mon ami Jean-Luc Bureau, photographe de talent pour lequel un dernier hommage a été organisé deux jours plus tôt…
Je suis ingénieur et je ne peux pas croire aux fantômes, même si les personnes les plus cartésiennes ont toujours besoin d’une part d’irrationnel. Je préfère m’appuyer sur l’hypothèse énoncée par Albert Einstein, dont les théories ont été régulièrement vérifiées plus tard, par les faits, et qui considérait que la vie est une énergie. Et comme en physique, rien n’apparait, rien ne disparait, mais que tout se transforme…
Yuki Matsuoka et son exposition « The True Identity of the Yokaī »
jusqu’au 15 décembre 2024
Espace Sorbonne 4
4 rue de la Sorbonne, 75006 Paris