Je ne peux pas passer rue des Vertus à Paris sans penser au Bleu Nuit, un minuscule bar tenu, dans les années 80 par les membres du groupe Tokow Boys (qui deviendra par la suite Luna Parker), où venaient s’enivrer tous les musiciens underground et new wave de Paris avant de continuer la fête au Rose Bonbon, aux 120 Nuits ou aux Bains-Douches : Jacno, Oberkampf, Les Civils, Modern Guy, Chihuahua, Taxi Girl… Le succès du lieu était tel, qu’un restaurant lui fut adjoint au bout de quelques semaines mais le doublement de la surface commerciale ne suffisant pas à étancher la soif d’un public de plus en plus nombreux, tous les bars kabyles de la rue étaient devenus l’annexe du Bleu Nuit. Avec l’arrivée des vagues d’hygiénisme et de conformisme des années 90, tous ces lieux ont été rageusement détruits, comme pour éradiquer définitivement toute trace des désirs et des plaisirs que ma génération y a partagés.
Heureusement la résistance à l’aseptisation du quartier s’est peu à peu organisée, avec l’arrivée de plusieurs galeristes, amenant son lot d’artistes et d’amateurs originaux et intéressants, parfois illuminés et souvent hors-normes. Ainsi la galerie Hors-Champs, située rue de Gravilliers -dans le même pâté de maison que le feu-Bleu Nuit- et dirigée par Bernard Pegeon et Hannibal Volkoff, propose régulièrement des expositions inventives qui commencent toujours par un vernissage, brassant à la fois personnes élégantes, fêtards professionnels et amateurs éclairés.
L’exposition en cours, jusqu’au 30 mai 2024, s’intitule « Cette nuit du sacrifice – au fond des bois ». C’est une invitation à imaginer, chacun, son histoire, peut-être d’épouvante, peut-être d’expiation, peut-être allégorique, mais toujours singulière, autour des œuvres de quatre artistes aux styles et aux univers très différents : Sophie Burbaloff, Fabienne Houzé-Ricard, Marie-Pierre Brunel et Raphaël Tachdjian.
Pour ma part, je me suis plongé dans la série hypnotique et fascinante de Raphaël Tachdjian qui nous propose des dessins à la pierre noire et au graphite, d’une telle précision qu’on pourrait les prendre pour des photos en noir et blanc. Pourtant, la technique utilisée date de la Renaissance mais elle permet des résultats d’une modernité stupéfiante. Les tableaux qu’il nous propose représentent des scènes étranges où se mêlent érotisme et surnaturel. En particulier, l’œuvre intitulée « Tu n’es plus obligé de t’en aller » nous plonge dans une histoire dont on pressent qu’elle nous amènera vers des plaisirs torrides.
Bien entendu, les autres artistes méritent également d’être découverts, mais on ne peut pas parler de tout le monde dans une courte chronique.
L’exposition « Cette nuit du sacrifice – au fond des bois » est visible jusqu’au 30 mai 2024
à la galerie Hors-Champs, 20 rue des Gravilliers, 75003 Paris.