La chronique d’Arnaud-Louis Chevallier: Exposition «Présences» de Richard Tronson à la galerie 20 Thorigny

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Quelles que soient les époques, que l’on soit né fille ou garçon, nous avons tous eu, remontant à l’enfance ou à l’adolescence, des déceptions profondes, des frustrations immenses, de terribles fêlures ou des sentiments de culpabilité ou d’abandon, fondés ou non, qui nous ont marqués de façon indélébile mais avec lesquels nous avons été obligés de nous construire. Ça peut être la mort ou l’absence d’un parent, les tourments d’une éducation trop violente ou trop rigide, un isolement dû à la maladie ou à un handicap, des attouchements inconvenants et inappropriés, ou même, tout simplement le sentiment d’être rejeté par la société ou la famille.

Bien entendu, ces accrocs à notre bonheur sont d’intensité très variable. Certains sont d’une rare sauvagerie, d’autres sont simplement déplaisants. De plus, un même évènement peut être vécu de façon tragique par une personne et de façon totalement anodine par une autre parce que nous avons tous notre propre système de valeurs, différent de tous les autres, et qu’une vérité première peut être perçue de façon très différente par deux individus distincts.

Face à cela, notre cerveau trouve toujours une parade : pour les plus chanceux, c’est l’oubli ; pour d’autres, la douleur arrive à être détournée notamment en faisant en sorte qu’elle alimente les fantasmes… Globalement, la plupart d’entre nous trouve sa solution. Mais pour une minorité, le mal-être est persistant et amène à des comportements asociaux ou à des conduites suicidaires.

Lorsque j’ai dirigé des discothèques, en particulier aux 120 Nuits où tout le monde était autorisé à rentrer, j’ai pu observer avec fascination, l’étendue des attitudes négatives qui résultaient des traumatismes antérieurs, entre les individus à fleur de peau et ultraviolents, ceux qui se noyaient dans les addictions les plus diverses et ceux qui étaient irrémédiablement attirés par les personnes ou les situations chaotiques. Bien que l’échantillon à ma disposition ait eu une taille suffisante pour en faire une étude clinique, je n’étais pas thérapeute et je me contentais d’identifier les éléments les plus troublés pour veiller, avec l’aide de mon service de sécurité, à ce qu’ils ne nuisent à personne, y compris à eux-mêmes, à l’intérieur de mon établissement. Dans cette tâche, nous étions aidés par l’anesthésie qu’amenait la musique rock poussée à fond, le rythme frénétique du pogo, ainsi que par la foule et l’alcool qui noyaient les esprits dans un magma léthargique.

Parmi ma clientèle, en particulier à La Régence, il y avait Richard Tronson, dont je n’ai réellement fait la connaissance que quelques années plus tard, dans d’autres clubs que nous fréquentions régulièrement. C’est un artiste plasticien rigoureux et exigent, fasciné, comme moi, par une certaine forme d’étrangeté -en particulier chez les personnes qu’on rencontre la nuit- qu’il aime à sublimer. Il a ainsi effectué, depuis les années 2000, un travail imposant et remarquable en photographiant dans des intérieurs insolites ou dans des parcs ensoleillés et fleurant bon le printemps, des jeunes filles rencontrées dans des soirées BDSM, vêtues de leurs tenues fétichistes en vinyle. Cela leur confère un côté animal, esthétique et dérangeant.

Revenu à la peinture depuis quelques temps, il expose en ce moment ses derniers tableaux sous le titre « Présences » à la galerie 20 Thorigny située, comme son nom l’indique, au 20 rue de Thorigny dans le troisième arrondissement. Le lieu est agréable et bien situé. J’y retrouve de nombreux amis communs avec l’artiste. Il y a quelques portraits de modèles encagoulées dans des capuches en vinyle, comme un clin d’œil à ses anciennes productions. Mais toutes ses œuvres en grand format sont construites autour d’un thème inédit : elles représentent des jeunes femmes en pied, avec des habits souvent imperméables, maculés de boue. Le rendu est habile et précis. On est proche de l’hyperréalisme.

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On peut imaginer que ce sont des femmes actives qui ont décidé de se passer des hommes même pour les travaux physiques les plus ingrats, de la plomberie au terrassement, et qui n’hésitent pas à « mouiller leur chemise » pour accomplir la mission qu’elles se sont assignées. Elles gardent toutefois une touche de féminité, avec vêtements sobres mais élégants, une posture féline et une grâce naturelle qui les différencie irrémédiablement des hommes.

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Pour ma part, je suis particulièrement sensible à l’œuvre centrale accrochée sur le mur en face de l’entrée et intitulée « Sous la surface ». C’est une frêle jeune femme en jupe courte et en bas blancs. Sa tête est baissée ; elle regarde le sol, comme si elle était honteuse. La boue qui la salit est blanchâtre, comme si elle avait été inondée par de multiples jets de liquide séminal. S’agit-il d’une héroïne d’un bukkake géant ?

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Le titre du tableau m’interpelle. Faut-il creuser un peu sous la surface lisse et bienséante des femmes pour découvrir un univers honteux où chacune se sent coupable et victime ? La vague de dénonciation des violences machistes dans laquelle se complaisent les médias en mal d’auditoire ne rouvre-t-elle pas des blessures oubliées depuis des lustres chez de nombreuses femmes ? Bien sûr, si des actes délictueux ont été commis, il faut que les auteurs soient poursuivis, si cela apporte de la sérénité aux victimes ou permet de mettre hors d’état de nuire les agresseurs et leurs complices. Mais la justice donne un verdict en se référant aux lois, et non à la morale, laquelle est, de toute façon, fluctuante dans le temps et d’un individu à un autre. Et lors d’un procès, il est normal que les avocats de la défense cherchent par tous les moyens, y compris les plus pénibles pour les parties civiles, à démontrer que les accusations sont sans fondement.

Avec le retour de l’Ordre Moral qui inonde les réseaux sociaux, nous assistons, impuissants, à un délitement de la société où de simples « mains au cul » -par ailleurs répréhensibles- deviennent des « agressions sexuelles », où chacun creuse consciemment ou inconsciemment dans ses souvenirs pour voir s’il n’a pas été victime de maltraitance et où des femmes et des hommes qui avaient oublié les turpitudes dont ils avaient fait les frais se trouvent violemment renvoyés à leurs multiples traumatismes. Et les femmes, même les mieux installées dans la vie se trouvent subitement salies et trainées dans la boue… Richard Tronson est un observateur éclairé.

Exposition « Présences » de Richard Tronson jusqu’au 10 mai 202
à la galerie 20 Thorigny, 20 rue de Thorigny, 75003 Paris