Non loin de la rue des Vertus et de la galerie Hors-Champs dont j’ai parlé dans ma précédente chronique, il y a la Remèdes galerie. Il s’agit d’une ancienne pharmacie transformée en galerie spécialisée dans la photographie, grâce à l’obstination d’une autre résistante à l’aseptisation du quartier, Lila Rouquet, une jeune femme d’une étonnante ténacité derrière une apparence douce et affable. Ses choix d’artistes délicats et rigoureux confèrent à l’endroit qu’elle dirige un caractère intemporel et novateur. Lors des vernissages, la galerie devient un espace d’échanges où l’on croise régulièrement des stars de la nuit comme Jenny Belair -qui habite à proximité- et des amateurs éclairés.
En ce moment, c’est Dominique Dalcan qui y expose ses photographies du Liban où il est né mais qu’il n’a redécouvert que récemment, ayant passé l’essentiel de sa vie en France. Je n’ai pas la mémoire des noms, mais j’ai celle des visages et je sais que je l’ai croisé à la fin des années 80 ou au début des années 90, lorsque j’étais encore dans le monde des discothèques. Je me souviens aussi de l’avoir revu à la télévision lorsqu’il a reçu une Victoire de la musique en 2018. Car Dominique Dalcan est, au départ, connu comme musicien, pionnier de la « French Touch ».
Crédit Photo Marc Chesneau
C’est en séjournant au Liban pour la préparation de son album « Last Night a Woman Saved My life » (en référence au titre du groupe Indeep sur lequel on dansait dans les années 80, même dans les boites « rock » comme les miennes) que Dominique Dalcan a immortalisé des fragments intimistes de vie quotidienne, où même les images les plus anodines renvoient aux blessures de la guerre et au miracle d’être survivant. L’ensemble de son exposition s’intitule « Un lien entre nous » et reflète bien l’entre-aide de la population libanaise, entre dénuement et débrouillardise.
J’ai moi-même une relation profonde avec le Liban au travers des nombreux lycéens réfugiés à Paris à qui je donnais des petits cours de mathématiques lorsque j’étais étudiant en école d’ingénieurs à la fin des années 70. Je me souviens d’un peuple chaleureux et accueillant, malgré les revers de la vie. J’ai assisté aux attentes et aux angoisses des familles expatriées, impuissantes devant leur beau pays qui sombrait dans le chaos. Depuis, c’est tout le Moyen Orient qui s’est embrasé et fracturé, ce qui confère une grande universalité aux images capturées par Dominique Dalcan.
La photographie intitulée « Une résistante » est représentative de cet univers abimé et dégradé, à la fois si loin et si proche du notre. C’est l’espoir d’un lendemain meilleur, avec une jeune fille moderne qui, pressent-on, aspire à se libérer de ses chaines. Il s’en échappe un bonheur éphémère, celui d’être encore là, tourné vers l’avenir, et de pouvoir parler à d’autres, rescapés eux aussi. On sent à la fois l’espoir et la désolation.
“Une résistante”
Pour apprécier pleinement l’image, il faut écouter le son qui va avec. L’album « Last Night A Woman Saved My life », également en vente à la galerie, propose des titres où se mêlent chants traditionnels, sonorités électroniques et fragments de conversation. Le morceau que je préfère, « Loin de ma terre », est interprété par Dominique Dalcan et Souad Massi, auteure et compositrice franco-algérienne. On peut le découvrir sur YouTube :
Exposition « Un lien entre nous » par Dominique Dalcan jusqu’au 13 juin 2024 à la Remèdes galerie
143 rue du Temple, 75003 Paris.