Je continue de voyager, inlassablement. Aujourd’hui, je vais en Indonésie, à travers l’exposition intitulée « Eveil » du peintre javanais Nurhidayat, à la Vanities Gallery, au 17 rue Biscornet à Paris, près de la place de la Bastille.
De l’Indonésie, je ne connais, en réalité, que la petite ile de Bali où je suis allé il y a une vingtaine d’années. C’est sans doute, le voyage le plus extraordinaire que j’ai eu l’occasion de faire, car contrairement à beaucoup de destinations de vacances sous les tropiques, il y a certes du soleil et des plages, mais il y a aussi une multitude de monuments parfois très anciens et de toute splendeur : Tanah Lot et son sanctuaire marin, Gunung Kawl, creusé dans la roche, Ubud et son palais royal ou, à quelques kilomètres, le temple Tirta Empul… Le tout baigne dans une atmosphère calme et sereine, jalousement entretenue par ses habitants. Les touristes les plus turbulents, en particulier les surfeurs et buveurs de bière australiens, préfèrent rester parqués tout au Sud, autour de Kuta, pour le grand soulagement des autochtones.
Les peintures de Nurhidayat se situent dans des espaces imaginaires, influencés par les images qu’on voit à la télévision, qu’elles proviennent de publicités, de dessins animés ou de reportages. Certaines sont entièrement colorées, d’autres sont en noir et blanc et partiellement colorées. Au fil des œuvres, grâce à notre vécu télévisuel collectif, le spectateur pense retrouver un univers familier, alors qu’il voit des scènes volontairement anachroniques avec des machines extraterrestres, des personnages cachés derrière des masques, des machines venant d’un lointain passé ou encore des paysages luxuriants et majestueux mais irréels. L’ensemble est peint avec précision et finesse.
C’est ainsi que « Le jardin » représente une jeune femme lascive portant un masque, dans une végétation abondante autour d’un hublot de bateau envahi par les fleurs et d’une antique boite aux lettres. Pour moi, c’est l’attente pleine d’espoir de l’être aimé parti outre-mer. Mais chacun peut faire sa propre interprétation.
Le jardin, acrylique sur toile de Nurhidayat
La Vanities Gallery est un tout nouvel espace, qui a ouvert il y a seulement six mois et qui présente essentiellement des artistes asiatiques. C’est un marché particulièrement porteur et son ouverture a été l’occasion d’un bel évènement festif et élégant où j’ai eu le plaisir de retrouver beaucoup de personnes que je connaissais.
Je poursuis mon voyage en Indonésie et me rends de l’autre côté de la place de la Bastille, à la galerie Arts Factory, au 27 rue de Charonne, à Paris. Il s’agit d’un lieu d’exposition qui existe depuis près de 30 ans et qui propose à la vente, des œuvres et des livres d’art. Des vernissages y sont organisés très régulièrement, dans une ambiance ludique et bon enfant. En l’occurrence, il s’agit de celui de l’illustrateur Atak qui dédicace son livre sur l’Indonésie dans la collection Louis Vuitton Travel Book et qui expose plusieurs planches originales qui y sont publiées.
Louis Vuitton Travel Book propose, pour de nombreuses destinations, des ouvrages d’artistes sur le principe d’un journal de voyage, avec de nombreuses illustrations. Atak qui est allemand propose sa vision de l’Indonésie, avec de belles peintures variés et colorées, dans un style naïf. On retrouve avec plaisir les paysages montagneux et verdoyants d’Indonésie. Mais à y regarder de plus près, il s’est surtout concentré sur Bali.
Le livre Louis Vuitton Travel Book sur l’Indonésie par Atak
Mais Bali n’est qu’une petite partie de l’Indonésie, qui est constituée d’une multitudes d’iles, avec chacune, sa propre histoire, sa propre culture, sa propre langue et souvent sa propre religion. A Bali, hindouiste, on parle balinais, une langue avec trois niveaux d’idiomes (un par caste, la quatrième caste, celle des intouchables n’existant pas dans l’hindouisme balinais). A Java, ile de plus de 150 millions d’habitants, pratiquant pour la plupart, un islam mâtiné de cultes préexistants, on s’exprime en javanais ou soundanais. A Sumatra, essentiellement musulman, on parle batak, aceh et minangkabau. Dans la partie Sud de Bornéo, on communique plutôt en malais. Dans la partie ouest de la Nouvelle-Guinée, majoritairement chrétienne, on s’exprime en papou. Aux Célèbes, il y a plus d’une centaine de langues.
Pour arriver à se comprendre, on a créé l’indonésien, largement inspiré du malais -plus simple que le javanais ou le balinais- mais pour l’écrasante majorité des habitants du pays, il s’agit d’une deuxième langue, qu’on apprend à l’adolescence. Or, le langage maternel est structurant pour la pensée. Il en découle des systèmes de réflexion qui peuvent profondément différer d’une ile à une autre, ce qui a entrainé, au cours des cinquante dernières années, de multiples tensions, attentats, et dérives autoritaires.
Planches originales d’Atak
L’Occident, à la traine des Etats-Unis, est toujours prêt à vouloir imposer, le cas échéant par la force, les dogmes de sa propre civilisation à des régions qui peuvent avoir, de façon séculaire, une culture tribale, collectiviste ou théocratique. C’est un fantasme absurde d’imaginer qu’on puisse imposer un mode de pensée uniforme sur l’ensemble de la planète. Et c’est une nouvelle forme de colonialisme. S’ils n’émanent pas des peuples concernés, les concepts de démocratie, d’égalité des genres, voire de libéralisme, qui sont plutôt bien adaptés à notre façon de vivre, ne peuvent, en revanche, que semer le chaos dans des pays très éloignés des nôtres, à la fois par leur histoire, le fonctionnement de leur société ou les contraintes géographiques qui s’imposent à eux. Lorsque l’on voit l’hétérogénéité culturelle de l’Indonésie et la sérénité qui règne, malgré tout, à Bali, on se dit que nous aurions surement beaucoup à apprendre de ce pays.
Nurhidhayat et son exposition « Eveil » jusqu’au 7 décembre 2024,
à la Vanities Gallery, 17 rue Biscornet, 75012 Paris
Atak en Indonésie pour la publication du Louis Vuitton Travel Book,
à la galerie Arts Factory, 27 rue de Charonne, 75011 Paris