La chronique d’Arnaud-Louis Chevallier: Le Prix Sade à la galerie Suzanne Tarasieve

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J’ai découvert le Marquis de Sade lorsque j’étais en première, au lycée. J’ai d’abord été attiré par le parfum d’interdit de ses récits sulfureux et largement fantasmés. Je me suis également intéressé à son action politique sous la Révolution Française lorsqu’il a fait partie de la section des Piques, où se concentrait une partie du pouvoir à Paris -aux côtés du puritain Robespierre qui n’appréciait guère son sybaritisme et son amoralité-. Sa vision sociale et philosophique du monde qui était en train de naitre est, en partie, contenue dans un fascicule intitulé « Français, encore un effort si vous voulez être républicains », intégré dans son livre « La philosophie dans le boudoir », que j’avais présenté au baccalauréat.

Je me souviens avoir également fait un exposé sur le divin marquis en classe de philosophie, où j’avais lu quelques textes un peu crus, sous le regard terrifié de la jeune professeure qui imaginait que sa carrière universitaire allait s’arrêter là. Il n’en fut rien : revendiquer Sade comme écrivain et philosophe faisait partie, dans les années 1970, d’un combat de l’ensemble de notre génération contre l’Ordre Moral, pour plus de liberté à la fois pour les hommes, les femmes, les hétérosexuels, les homosexuels, les vieux comme les jeunes. Les militantes féministes de l’époque étaient à la pointe de ces luttes, revendiquant l’accès au plaisir pour toutes et tous.

Force est de constater qu’aujourd’hui leurs successeuses défendent l’exact contraire, avec de plus en plus d’interdits contre, globalement, la pornographie, l’amour libre, tarifé ou non, ou la découverte des plaisirs sexuels avant l’âge de sa majorité. Elles ont abandonné la conquête de nouveaux territoires de liberté et l’acceptation bienveillante d’un ensemble étendu de déviances pour se délecter de la pratique d’un jugement permanent construit sur un amas de faits divers dont l’interprétation est aussi discutable qu’irraisonnée.

Au fil du temps, mon intérêt pour Sade n’a pas faibli et le nom de la première discothèque que j’ai créée et dirigée à Paris, les 120 Nuits, était une référence assez limpide à l’une de ses œuvres majeures. C’est dans cet esprit que je me suis intéressé depuis quelques années au prix qui porte son nom, fondé en 2001. Pourtant, je ne suis pas un grand adepte des sélections inhérentes à ce type d’exercice. Depuis que j’ai passé les concours d’ingénieurs, je nourris une grande aversion pour les compétitions quelles qu’elles soient : seul le niveau compte. Ce qui importe, c’est que l’ouvrage tienne, pas qu’il soit meilleur que le voisin selon des critères souvent obscurs.

Mais dans le cas du Prix Sade, à côté du livre primé, dont l’auteur reçoit une œuvre d’art, de multiples autres ouvrages sont mis en avant avec des catégories créées chaque année au fil des opportunités. C’est un peu comme l’école des fans où tout le monde gagne.

L’évènement se passe, comme l’an passé, à la galerie Suzanne Tarasieve, située dans le Marais, au 7 rue Pastourelle à Paris. J’y croise plusieurs personnes que je connais, notamment Yves Yxes, qui réalise de magistrales bandes dessinées BDSM, Jean-Louis Delvalle qui avait exposé ses délicats clichés notamment lors de la dernière exposition de NudeOExpo et Hannibal Volkoff, de la galerie Hors-Champs qui est venu en voisin.

Les membres du jury présents s’alignent dans le fond de la salle et son président, Emmanuel Pierrat, égraine le nom des gagnants qui sont tous appelés à dire un mot sur leur travail, dans une ambiance bon enfant. Cette année, le Prix Sade est décerné à Pauline Mari pour « L’Art assassin. Sur la figure de l’artiste criminel » aux éditions Rouge Profond. Elle reçoit des mains de l’artiste, Natacha Nikouline une photographie, qui de loin semble d’une grande sensualité, alors qu’elle représente en réalité des morceaux de viande sur un linge avec deux œillets posés dessus.

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Parmi les ouvrages primés, il y a également un magnifique livre d’art, « L’Alchimie du cerveau à la mine de plomb » du japonais Yoshifumi Hayashi aux éditions Arsenic Galerie dont les textes sont écrits par Xavier-Gilles Néret, qui enseigne la philosophie à l’Université et qui est appelé à le présenter. Je sens dans ses propos la même gêne que celle de ma professeure, il y a cinquante ans.

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Notre époque a subi une terrible régression.

Mais le monde de demain sera le résultat de nos combats d’aujourd’hui. Il est temps de se réapproprier le slogan situationniste qui a imprégné par la suite toute la philosophie punk : « Vivre sans temps mort ; jouir sans entraves ».

 

Pour 2024, sont primés :

– « L’Art assassin. Sur la figure de l’artiste criminel » de Pauline Mari (Rouge Profond) pour le Prix Sade

– « La Fille verticale » de Félicia Viti (Gallimard) pour le Prix Sade Fiction,

– « L’Alchimie du cerveau à la mine de plomb » du japonais Yoshifumi Hayashi -texte de Xavier-Gilles Néret- (Arsenic Galerie) pour le prix Sade Livre d’Art,

– « Lyrica » de Keizo Miyanishi -traduit par Aurélien Estager- (éditions IMHO) pour le Prix Sade BD-Manga,

– « Ecrits érotiques de femmes. Une nouvelle histoire du désir de Marie de France à Virginie Déspentes » de Camille Koskas et Romain Enriquez (Bouquins) pour le Prix Sade Histoire Littéraire,

– « Salon Kitty » de Tinto Brass (Sidonis) pour le Prix Sade DVD,

– Patrick Cardon, en qualité d’éditeur depuis plus de 30 ans de Gay Kitsch Camp pour le Prix Sade Patrimoine,

– « Obsession bis » de Christophe Bier (Le Dilettante) et « Un passé lumineux » en mémoire de Jacques Abeille alias Léo Barthe (La Musardine) comme mentions spéciales du jury.