Les crocs de l’hiver se font plus cléments, leurs morsures sont moins acérées. J’en profite pour aller dans le lointain XVème arrondissement, à la soirée de vernissage du salon art3f au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, qui se termine le surlendemain. On y trouve des artistes qui n’exposent habituellement pas à Paris, ainsi qu’un grand nombre de galeries de province ou de grande banlieue. Le salon est vaste mais un peu froid. Les allées sont beaucoup plus clairsemées que pour les évènements comparables à Bastille, sur les Champs-Elysées ou au Carrousel du Louvre. Et le bruit des bouchons de champagne qui sautent se fait rare. Ça reste tout de même une belle exposition pour les personnes qui habitent à proximité de la Porte de Versailles…
En vieux routard des vernissages, je fonce vers la rive droite. Dans le cadre de la « Fashion week » j’ai reçu des invitations pour deux show-rooms éphémères dans la petite rue Notre-Dame-de-Nazareth dans le IIIème arrondissement. Pourtant, je n’aime pas beaucoup le milieu de la mode. Je me souviens, dans les années 80, des soirées dédiées à la haute couture dans les discothèques, où de malheureuses fillettes de 15 ans étaient envoyées faire de la figuration pendant une bonne partie de la nuit. La plupart ne parlait pas un mot de français. Elles ne buvaient que de l’eau, en raison de leur jeune âge et pour ne pas déroger à leur triste régime alimentaire. Et elles s’ennuyaient… s’ennuyaient… s’ennuyaient… Et si par malheur, un client émoustillé par leur présence se mettait à s’amuser ou même à danser, elles le regardaient avec dégout et stupéfaction, comme s’il s’agissait d’une souris, échappée d’une obscure excavation. Elles étaient inhibantes.
Je me souviens également de défilés pour un public fortuné où des hordes de stylistes anonymes et sans le sou essayaient de s’introduire face à des rangées de videurs impassibles et d’assistantes-attachées de presse impitoyables dont la seule compensation au fait qu’elles soient fort mal payées, c’était de pouvoir dire non dans ce type d’occasion.
La mode est un univers fermé et extrêmement hiérarchisé, comme s’il avait été organisé par Franz Kafka en personne.
De toute façon, dans les années 80, les tendances de la couture se faisaient dans la rue et pas sur les podiums. Il y avait plusieurs styles qui coexistaient et qui connaissaient leur propre mode. Il y avait les rockers, les funkys, les discos, les BCBG, les néoromantiques, les classiques, les punks, les novos… Et tous redoublaient d’ingéniosité pour être plus élégants les uns que les autres et plus inventifs que les grands créateurs officiels et ce, avec très peu de moyens.
Je repense à tout ça sur le trajet et je m’attends à m’ennuyer un peu. J’arrive au 66 rue Notre-Dame-de-Nazareth. Ma première surprise, c’est que les organisateurs tout comme le public sont très jeunes. On sent une énergie et un esprit festif dignes des premiers temps du punk.
Compte tenu de mon âge canonique et de ma distance par rapport au monde de la mode, j’appréhende de déparer un peu, mais personne ne remarque ma présence, ce qui est un signe implicite et indiscutable de mon acceptation par tous. C’est ma deuxième surprise.
Je croise des jeunes filles délicieusement et courtement vêtues. J’en croise d’autres avec des coiffures étonnantes. Les garçons sont bienveillants et enjoués. Petit à petit, je me mets à rêver que notre différence d’âge s’estompe. Je poursuis ma route et m’aperçois que ce ne sont pas deux mais sept ou huit pop-up qui ont ouvert pour l’occasion. En réalité, c’est toute la rue qui est devenue, l’espace d’une nuit, un havre d’élégance et de débauche. Je sais à quel point il est devenu difficile d’organiser la moindre festivité à Paris. La simultanéité de tous ces micro-événements constitue ma troisième surprise.
Partout, la bière coule à flots. Au 30 de la rue, il y a même un barman qui prépare des cocktails à la commande. Chaque endroit possède sa propre sono. L’alcool aidant, je discute avec plusieurs personnes. Il y a des natifs de tous les continents. On parle en anglais, en créole et de temps en temps en français. L’ambiance est douce. L’instant chasse mes souvenirs. Le passé se dérobe. Je rajeunis.
Je m’arrête devant un stand de chaussures japonaises réalisées en 3D. On dirait des coquillages. L’emplacement des pieds est calculé par ordinateur pour un confort maximal, malgré la forme singulière de l’ensemble. C’est assez merveilleux. La marque qui les fabrique, Aliveform, n’est pas distribuée en France mais on peut faire des commandes sur Instagram ou sur le site aliveform.bio.
Deux boutiques plus loin, c’est un français qui propose des lunettes et des casques en 3D. Lui non plus n’a pas encore de distributeur en France et son site doit être mis en ligne en mars prochain. Sa marque, 5amartefact n’est présente que sur Instagram.
Comme pour les chaussures japonaises, les produits qu’il propose sont Incroyables. J’imagine la nouvelle génération de cyberpunks coiffée et chaussée d’éléments 3D. Cela fait partie des choses les plus créatives que j’aie vus depuis longtemps. Je reste ébahi de ce que je découvre, comme si je n’étais plus le vieil homme blasé que je suis devenu. Je bois une bière, je danse un peu, je suis bien. Le présent devient le futur. Je rajeunis encore. J’ai de nouveau vingt-cinq ans. Comme l’écrivait James Joyce « The past is consumed in the present and the present is living only because it brings forth the future. »
Aliveform sur aliveform.bio et sur Instagram
5amartefact sur Instagram