La chronique d’Arnaud-Louis Chevallier: Expositions «Polyrythmie» à la Vanities gallery – «Abstraction Lyrique» à l’espace Céramique 14 – «Représenter le non-créé» à la galerie l’Epicery – «Recto Verseau» à la galerie La Lison

Aujourd’hui, c’est jour de grève générale. Il n’y a pas de métro sauf sur les trois lignes entièrement automatisées. Et un imposant défilé réunit plusieurs centaines de milliers de personnes à Paris. Je décide néanmoins de visiter quelques galeries qui ont maintenu, malgré tout, leur vernissage. J’irai à pied.

Je suis aventurier mais pas téméraire : je m’enquiers auparavant de savoir si on se bat dans les rues et où. D’après les chaines d’information en continu, toujours à l’affut du moindre incident, la manifestation est plutôt bon enfant, avec beaucoup de jeunes qui dansent et font la fête. Seuls quelques heurts ont lieu du coté de Nation, c’est-à-dire à au moins trois stations de métro de là où je souhaite me rendre. Je pars donc de Strasbourg-Saint-Denis, passe par la rue Notre-Dame-de-Nazareth, descends la rue Béranger et me retrouve rue de Turenne où, au 97, a lieu une énigmatique réception, avec plein de monde, une disc-jockey, des mannequins habillés d’élégantes tuniques bleues, et des petits fours et du Prosecco.

J’effectue une pause de pur ravitaillement. Il s’agit d’un pop-up pour une marque italienne de pompe à chaleur qui s’implante en France, Clivet, et les hôtes et hôtesses ont revêtu des habits uniformes et vaporeux pour montrer que lorsqu’on est équipé du produit, on n’a pas besoin de mettre des vêtements chauds… Si maintenant les chauffagistes proposent des fêtes à la mode… C’est singulier et attrayant.

Je me remets en route dans le tintamarre quasi-continu des convois de police. J’arrive à la Vanities gallery, au 17 rue Biscornet dans le douzième arrondissement où se déroule le vernissage de l’exposition « Polyrythmie », autour des œuvres d’Antoine Brot. Malgré la grève, les visiteurs sont venus nombreux. Il faut dire que les travaux qui y sont présentés sont toujours d’excellente qualité, que le temps est radieux et que les responsables de la galerie savent créer une ambiance enthousiasmante autour de ce qui est exposé.

Par rapport aux autres artistes extrêmement talentueux que j’ai eu le plaisir de découvrir à la Vanities gallery, Antoine Brot ne fait pas exception, malgré son jeune âge, puisqu’il vient tout juste d’être diplômé de 3^ème année des Beaux-Arts de Paris. Il propose de vastes fresques abstraites où, à partir de bribes de forme, il extrapole et invente un univers onirique de feuillages, de gouttelettes ou de nuages. Certaines toiles rappellent l’atmosphère intemporelle des tableaux de Tanguy ou de Dali. L’auditoire, composé en grande partie de jeunes étudiantes, est conquis, et moi aussi.

Je poursuis ma semaine en me rendant à l’exposition intitulée « Abstraction lyrique » autour des œuvres de Marc-Louis Questin, par ailleurs écrivain, homme de lettre et éditeur, à l’espace Céramique 14, au 14 rue Dénoyez dans le vingtième arrondissement. J’entends au loin les sirènes de la police, toujours présente. Paris est encore en alerte.

Marc-Louis Questin propose des peintures à la gouache, résolument psychédéliques, avec des couleurs tranchées. Chaque tableau est un morceau de songe. C’est comme une image que l’on voit furtivement en fermant simplement les paupières, alors qu’on perçoit encore la lumière qui les traverse. L’accumulation de ses œuvres donne une belle homogénéité à l’ensemble, qui inspire une soudaine sérénité, comme si l’on prenait une pause exquise au milieu d’un voyage tourmenté.

Juste à côté, à la galerie l’Epicery, au 18 rue Dénoyez, a lieu le vernissage d’une autre exposition intitulée « Représenter le non-créé ».  On y montre les œuvres d’un jeune artiste franco-italien, Fael Marescotti, qui génère un autre monde comme un enfant qui matérialise ses rêves avec tout ce qui lui tombe sous la main : de la peinture, du papier mâché, du ruban adhésif, de la colle… Je m’arrête sur un quadriptyque sans titre qui me rappelle l’écran de mon ordinateur lorsque nous faisions des apéritifs à distance pendant la période du covid. C’était encore la fuite de la réalité pour retrouver une forme de joie et de convivialité.

Je termine ma moisson de belles images, toujours dans le brouhaha des cars de CRS à la recherche désespérée d’éléments perturbateurs. J’arrive à la galerie La Lison, 5 rue Pierre Chausson, dans le dixième arrondissement, où l’exposition intitulée « Recto Verseau » met en lumière les splendides toiles de Baptiste Hersoc. Son travail minutieux fait penser à Rubens ou à Velazquez. Même s’il admet volontiers leurs influences, il se réclame également du mouvement « new surrealism » qui entend faire perdurer, notamment aux États-Unis, l’héritage des surréalistes. Il propose des œuvres finement travaillées, avec un luxe de détails impressionnant. Je remarque tout particulièrement un mur rempli de tableaux à la fois intemporels et remplis de clins d’œil. On y voit une paire de seins nourriciers sur une table de salle à manger à la nappe finement brodée, ou encore la vie se tenant sur ses mains comme un fragile château de cartes ou un escalier en colimaçon d’un palais dont les marches sont constituées de dents…

Je me délecte des œuvres. J’apprécie aussi le public constitué de belles jeunes femmes majestueuses qui contemplent longuement et avec sensualité ce qui est exposé. Le champagne coule à flot. L’ambiance est bon enfant. On est loin des affrontements et des pillages qu’on nous annonçait en début de semaine. Dans cette époque troublée, Paris continue d’être une fête, autant que la capitale fantasmée d’une éternelle insurrection.

Et si le secret de la joie communicative que nous proposent ces quatre artistes, c’était de récréer systématiquement un monde imaginaire, harmonieux et festif, à côté de celui tout aussi peu réel que décrivent en permanence les médias et dont les aspects hideux finissent par nous hanter ?

Exposition « Polyrythmie » jusqu’au 19 octobre 202
à la Vanities gallery, 17 rue Biscornet, 75012 Paris

Exposition « Abstraction Lyrique » jusqu’au 26 septembre 202
à l’espace Céramique 14, 14 rue Dénoyez, 75020 Paris

Exposition « Représenter le non-créé » jusqu’au 24 septembre 202
à la galerie l’Epicery, 18 rue Dénoyez, 75020 Paris

Exposition « Recto Verseau » jusqu’au 1^er novembre 202
à la galerie La Lison, 5 rue Pierre Chausson, 75010 Paris