Il est des titres d’expositions, comme de films, qui donnent envie d’aller les voir. Comme tous les mégalomanes un brin narcissiques, j’adore me regarder dans la glace et l’intitulé « Miroir, mon beau miroir » me parle et m’attire inéluctablement. Je pourrai toujours me contempler avec délice, même si l’environnement n’est pas à la hauteur de mes espérances.
L’exposition a lieu à la galerie Dumonteil Design, située au 38 rue de l’Université dans le septième arrondissement. Je connais mieux l’autre espace parisien que la galerie a ouvert en 2021, à quelques pâtés de maison de chez moi, au 8 rue d’Aboukir dans le deuxième arrondissement (après qu’elle se soit également implantée à Shanghaï en 2017). J’y étais dernièrement pour le lancement d’un parfum, intitulé « Matière première » et j’ai toujours plaisir à m’y rendre car je suis toujours ébloui par les peintres ou photographes qui y présentent leurs œuvres.

Le 38 rue de l’Université, siège historique de la galerie est un espace plus réduit qui permet de dévoiler du mobilier d’artiste dans une ambiance chaleureuse. Dès qu’on rentre, on ne peut pas manquer la magnifique table métallique d’Ugo Schildge. Son plateau arrondi est recouvert d’un miroir sur lequel de petites billes en acier ont été déposées, coincées par une vitre sur laquelle deux grosses sphères aimantées permettent de les faire bouger à satiété. L’ensemble renvoie une belle couleur argentée, atténuée en fonction des formes qui s’y reflètent. Et c’est surtout très ludique. Né en 1987 et diplômé des Beaux-Arts, Ugo Schildge est peintre et sculpteur et a déjà également exposé à New York, Londres, Shangai et en Suisse.

En regardant les murs, je suis transporté par deux miroirs d’Etienne Pottier. Un premier est encadré d’un marigot de céramique verte. Il s’appelle « Man is a crocodile to man ». Effectivement deux de ces reptiles carnivores narguent les élégants anonymes qui viennent regarder leur reflet au centre. C’est délicieusement jubilatoire. L’autre, juste à côté, toujours en céramique, mais dans des tons mordorés, allie à la fois générosité des formes et frugalité des couleurs. On a envie de s’y contempler pendant des heures. Et dès qu’un élément plus voyant s’y reflète, comme ici une sculpture en céramique orange sur le mur opposé, il est sublimé par la couleur du cadre. Né en 1983 et étant passé par l’ENSAD, Etienne Pottier a été tour à tour dessinateur, photographe, graveur et céramiste et on sent dans son travail la maîtrise de toutes ces techniques.

A m’observer dans tous les miroirs de l’exposition, je finis par attendre qu’ils me répondent. Qu’ils me chuchotent des secrets que mon image réfléchie leur inspire. Mais est-ce l’effet de la foule de visiteurs qui leur suggère la prudence ? Ils restent muets, désespérément muets.
En quête de réponse, je décide alors de me rendre à l’exposition intitulée « Les murmures » autour du peintre Leny Guetta, à la galerie Minsky, au 37 rue Vaneau, toujours dans le septième arrondissement. Peut-être aurai-je enfin la possibilité qu’on me susurre les vérités enfouies qu’on ne découvre qu’en passant de l’autre côté du miroir.

Après un aimable accueil assorti d’une coupe de champagne, je discute avec Arlette Souhami, la Responsable, qui s’est autrefois occupée de Leonor Fini et qui en est une spécialiste incontestée. A travers ses propos, je ressens une profonde ferveur communicative vis-à-vis des artistes qu’elle présente. Leny Guetta, dont elle a, alors que le vernissage n’est pas terminé, déjà vendu les deux tiers des œuvres exposées, n’y fait pas exception.

Il est vrai que son travail est grandiose, avec des peintures tantôt lumineuses, comme « Le somnambule » qui représente un homme, la tête dans les nuages, tantôt en clair-obscur, comme celle intitulée « La cabine » avec une personne au regard énigmatique qui tient une rose à la main. Je remarque la précision du trait et le choix longuement médité des couleurs. Autodidacte, autrefois photographe, j’apprends que Leny Guetta s’est imposé une école de rigueur en n’utilisant pendant cinq ans que quatre couleurs pour peindre ses tableaux : le rouge, le jaune, le noir et le blanc.

Je descends au sous-sol de la galerie. Accroché au mur de l’escalier, j’y trouve la réponse à ma quête du jour, avec un tableau qui représente une tête d’homme d’où sort, par la bouche, une sorte de nuage rose. Je reconnais une multitude de personnes que j’ai croisées, la nuit, dans mes discothèques ou ailleurs, se dissimulant derrière un rideau de fumée verbale. Voilà donc le secret de l’autre côté du miroir, celui que je traque ce soir, mais qu’on peut chercher toute une vie, dans une errance nocturne qui passe lentement de la routine aux ténèbres : des projets faramineux élaborés dans l’euphorie de la fête et de l’alcool, il ne reste, le lendemain, qu’une gueule de bois carabinée et de vagues souvenirs de propos insignifiants. Le tableau s’appelle « Le nébuleux ».

Exposition « Miroir, mon beau miroir » jusqu’au 7 décembre 2025 à la galerie Dumonteil Design
38 rue de l’Université, 75007 Paris
Exposition « Les murmures » jusqu’au 6 décembre 2025 à la galerie Minsky
37 rue Vaneau, 75007 Paris

