J’aime les jolies femmes. J’apprécie leur beauté naturelle lorsqu’elles ont le privilège d’avoir des traits réguliers, mais ce qui m’émeut le plus, c’est la façon dont elles savent se mettre en valeur. J’aime leurs fesses moulées dans des petits shorts ou cachées sous des jupes coquines. J’aime leurs longues jambes nues ou finement gainées de bas noirs ou couleur champagne. J’aime leur façon de se mouvoir, félines et sensuelles. J’aime leur regard glacé qui peut devenir volcanique en l’espace d’une fraction de seconde…
Elles arrivent même à transformer une caractéristique disgracieuse en attrait envoutant. Je me souviens, dans les années 80, au sein de la bande à Viscose, un groupe de punkettes qui sévissait à Paris, de Coko, une grande fille dotée d’un nez immense, dont elle avait transcendé l’aspect en se faisant pousser, sur la tête, une crête de cinquante centimètre de haut se terminant par une natte descendant jusqu’au bas du dos. Lorsqu’on la croisait, on était troublé par sa chevelure mais on ne remarquait plus du tout son nez.
Le corps des femmes est, en soi, une invitation au désir : les courbes sont sensuelles, la peau est douce, souvent totalement épilée. Il peut y avoir des tatouages stratégiquement disposés ou des piercings dans des endroits inattendus. On peut découvrir avec ravissement une chaînette de cheville ou à la taille. Il peut n’y avoir rien de tout ça, simplement un bronzage uniforme qui donne un aspect doré ou, au contraire, un aspect laiteux, naturellement cuivré ou délicieusement caramélisé. A côté des femmes, les hommes sont toujours affreux : ils sont soit pleins de gras, ce qui est très laid, soit pleins de muscles, ce qui l’est tout autant, avec toujours des poils partout, alors que la plupart des femmes savent mettre en scène leur corps préservé avec soin, avec des sous-vêtements, simples ou sophistiqués, en coton ou en dentelles ou totalement absents. Elles savent déambuler avec grâce, s’étendre sur un divan avec nonchalance et légèreté ou s’asseoir à la terrasse d’un café avec mystère et volupté.
J’apprends qu’un vernissage doit avoir lieu conjointement à la galerie Rachel Hardouin et à la galerie La Lison autour des œuvres d’Irina Ionesco, l’iconique photographe décédée en 2022 qui savait magnifier le corps féminin en le théâtralisant. Je ne peux qu’y accourir. L’exposition porte sur sa production entre 1970 et 1980.
Je commence par la galerie La Lison, au 5bis rue Pierre Chausson dans le dixième arrondissement. C’est une galerie assez récente, couplée à un studio de tatouage. On y présente toujours des artistes intéressants, avec quelquefois des performances à couper le souffle. Lors de la dernière exposition, j’ai ainsi assisté à une peinture en direct de Kiichiro Ogawa, en transes sur la musique hypnotique de deux musiciens qui l’accompagnaient et j’ai visionné une vidéo incroyable où la directrice de la galerie effectuait un numéro de pole dance avant d’être suspendue au plafond, sa chevelure étant utilisée comme pinceau par le même artiste. Voilà une galeriste qui paie de sa personne !
Il y a déjà foule lorsque j’arrive. Les photos en noir et blanc sont élégamment disposées sur des tentures noires qui recouvrent les murs. Chacune d’entre elles sont magnifiques, mais je n’ai d’yeux que pour celle de Sylvia Cristel, suavement étendue sur un canapé. Révélée par « Emmanuelle », elle a été mon fantasme absolu d’adolescent. Nue, elle porte au cou un collier qui pourrait être une laisse, ce qui me trouble, et me plonge dans une longue et profonde divagation BDSM.
Je sors de mon émoi en apercevant Foc Kan. Je bois quelques coupes avec lui, avant d’aller à la galerie Rachel Hardouin -dont j’ai déjà parlé dans une précédente chronique-, à une dizaine de minutes à pied, au 15 rue Martel, toujours dans le dixième arrondissement. Là encore, il y a foule pour admirer d’autres photos d’Irina Ionesco. Je croise Emmanuel Pierrat, qui préside le Prix Sade, je discute plaisamment avec Yves Yxes, le dessinateur de BD, et je photographie Foc Kan qui immortalise, à l’écart des visiteurs, l’un des murs rempli des clichés d’Irina Ionesco. Je ne suis pas mécontent de cette mise en abîme.
Je m’arrête sur l’œuvre intitulée « Flora », une belle ingénue en nuisette qui s’abandonne aux regards indiscrets. Je ne suis pas fétichiste des toisons poilues, mais l’exhibition de son pubis sans fards lui confère un délicat parfum de scandale. Je pense au Japon, où la société reste très prude, mais où la pudibonderie ne porte pas sur les mêmes choses que chez nous. On y accepte que des adolescentes érotisent leur corps et fassent fantasmer les vieux messieurs, ce qui, au passage, montre à quel point le concept très français d’irresponsabilité sexuelle des jeunes filles sorties de l’enfance mais encore mineures n’est pas universel, mais on ne tolère pas de voir des photos avec des poils pubiens. Que dirait-on de cette œuvre envoutante là-bas ? Flora, c’est une nouvelle Vénus à la fourrure.
Autre différence notable avec nous, le Japon accepte la prostitution sans hypocrisie. Les « Love Hotels » fleurissent sur tout le territoire, avec des architectures fantasmagoriques et reconnaissables de loin. On en trouve avec la forme de soucoupes volantes, s’inspirant de châteaux forts, ressemblant à des garages ou des bateaux. C’est comme les chambres à thème des anciens bordels parisiens dont on trouvait encore des vestiges rue Saint-Denis et rue Blondel au début des années 2000. La galerie du Jour Agnès B., située place Jean-Michel Basquiat, dans le treizième arrondissement de Paris, propose une exposition de photos de François Prost sur ce thème sous le sobre titre « Love Hotel ». L’ensemble est ludique et dépaysant. On peut emporter des capotes en libre-service à l’effigie des hôtels.
Bien sûr, ces lieux ne sont pas réservés uniquement à la prostitution, mais à tous les rapports sexuels hors union officielle. Il reste qu’en France, ces établissements seraient fermés pour proxénétisme hôtelier. En plus, la loi de 2016 sur la pénalisation des clients des prostitué(e)s qui est totalement inefficace (il n’y a eu que 300 infractions constatées l’an passé alors qu’il y aurait plus de 40 000 prostitué(e)s d’après les chiffres officiels) précarise encore un peu plus les travailleuses et les travailleurs du sexe. A l’instar de ce qui s’est produit aux Etats-Unis entre 1920 et 1933 sur les boissons alcoolisées, la prohibition n’a jamais été un outil efficace pour lutter ce contre quoi elle avait été établie, elle ne fait que développer et enrichir les mafias. En Belgique ou la prostitution a été entièrement décriminalisée en juin 2022, les réseaux de proxénétisme se sont effondrés, alors qu’en France, ils pullulent et se multiplient avec notamment le phénomène nouveau de la traite de mineures.
Exposition « Irina Ionesco 1970-1980 » jusqu’au 6 mai 202
à la galerie Rachel Hardouin, 15 rue Martel, 75010 Paris
et à la galerie La Lison, 5bis rue Pierre Chausson, 75010 PARIS
Exposition « Love Hotel » jusqu’au 18 mai 2025
à la galerie du Jour Agnès B., place Jean-Michel Basquiat, 75013 Paris