La chronique d’Arnaud-Louis Chevallier: Exposition collective à l’Agence Principale – «Mêmes pas mal» de Thierry Théolier aux éditions L

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Que ce soit à la campagne ou à la ville, les gens sont de plus en plus seuls.

Dans les zones rurales, les territoires sont laissés en jachère depuis des lustres, entrainant une désertification et un vieillissement inédit de la population. Les commerces ferment ; les écoles ferment, les bureaux de poste ferment, les gares ferment, les municipalités fusionnent et une partie des mairies ferme. Il n’y a plus de services publics, plus de bistrot, plus de centre-ville. Les habitants des campagnes sont livrés à eux-mêmes, condamnés à la déliquescence de la pensée véhiculée par la télévision sans cesse tirée vers le bas et par Internet qui en est un substitut dégradé. Il est vrai qu’il y a de moins en moins d’agriculteurs et que le pouvoir économique des zones rurales est de plus en plus faible, dans un monde capitaliste où le poids économique et financier est le seul critère d’appréciation de l’importance des choses.

Dans les villes, ça n’est pas mieux. Le rythme de vie est de plus en plus rapide et stressant. Les salariés du public comme du privé sont soumis à des cadences inhumaines. Les petits et moyens entrepreneurs vivent dans l’angoisse perpétuelle de la fin de mois. Les personnes qui travaillent dans les bureaux et les commerces sont traités comme des ouvriers du début du siècle dernier, la solidarité syndicale et la bienveillance des circuits catholiques d’entre-aide en moins. Même si on en parle de plus en plus, la part pour les loisirs et la vie sociale s’amenuise inexorablement. Les lieux de culture et d’échanges se raréfient. Les bistrots de quartier ferment, les cinémas ferment, les librairies ferment, les galeries ferment, les boites de nuit ferment. Les villes, autrefois lieux de mixité sociale ont chassé les ouvriers de leurs quartiers. Il y en a de toute façon de moins en moins et lorsqu’ils ont encore du travail, c’est généralement dans des usines au diable vauvert, loin des tentations urbaines. Et les centres-villes se transforment en vitrines clinquantes et aseptisées, où tout est inaccessible, en particulier pour les personnes qui s’interrogent sur la consensualité de façade qu’on nous impose.

Dans ce contexte, toutes les initiatives qui permettent de promouvoir l’art et la fête sont bienvenues. C’est le cas de l’Agence Principale, société de négoce immobilier installée 14 rue Damrémont, dans le dix-huitième arrondissement, qui profite de de ce que ses locaux disposent d’un vaste hall donnant sur la rue pour y organiser une exposition collective de huit artistes, tous talentueux, à laquelle je suis convié pour le vernissage.

Deux d’entre eux m’intéressent particulièrement.

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Il y a d’abord Thierry Chavenon, artiste peintre qui, auparavant, a longtemps travaillé comme chef décorateur dans le cinéma et la publicité. Son univers sombre et abstrait, à l’image de notre époque, interpelle et fascine. Il propose ici plusieurs compositions de dégradés d’encre noire sur papier. C’est élégant et désenchanté. C’est comme une calligraphie embrumée venue de la lointaine Chine industrieuse. La noirceur de l’ensemble me rappelle celle des tout premiers tableaux de Vincent Van Gogh, avant qu’il ne découvre la couleur et la façon de l’utiliser pour exprimer sa détresse. Ça nous renvoie à notre propre déréliction.

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Juste à côté, au-dessus de la photocopieuse, trône une magnifique toile de Roxane Bassoli, venue elle aussi de l’univers du cinéma, intitulée « le camion de monsieur Haffmann » qui fleure bon la nostalgie, avec son rendu faussement naïf. Ça n’est pas sans rappeler les tableaux de Paul Delvaux. Le paysage de centre-ville qui y est peint est pareillement figé mais ici, il n’y a plus âme qui vive. Ça n’est sans doute pas délibéré, mais l’artiste résume parfaitement mon sentiment sur ce que sont devenues les zones urbaines, et en particulier Paris : une succession de superbes vitrines avec plus personne pour y acheter quoi que ce soit.

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Deux jours à peine après ma venue pour le vernissage de l’Agence Principale, je vois que Thierry Théolier organise une première séance de signature pour son troisième livre, à moins de vingt mètres de là, au Vestiaire du 18ème, situé au 18 rue Damrémont. Je ne peux pas y aller car je suis dans le train qui m’emmène au Pays Basque. Et je suis justement en train de dévorer son opuscule intitulé « Mêmes pas mal », dans le train. C’est un petit livre rouge, composé de pensées assez courtes, délicieusement iconoclastes. C’est très facile à lire et idéal pour les transports ou la plage. Enfin un manifeste totalement anti-consensuel ! Je lis quelques pages puis lève la tête et observe les passagers qui m’entourent, intérieurement hilare.

Je m’attarde sur plusieurs pensées, notamment celle-ci :

                        « il n’existe pas
                        au bout du compte
                        de plus belle petite mort
                        qu’une série de shots de vodka
                        et des rails de kétamine
                        sur le ventre
                        d’une suicide girl »

Pour ma part, je remplacerais volontiers la vodka par du champagne et les rails de kétamine par des canapés au foie gras. C’est ma contribution à l’absence de consensus. Je regarde le couple âgé de bourgeois faussement décontractés à côté de moi, irrémédiablement seuls dans leur vie étriquée. Je confirme que la petite mort que propose Thierry Théolier est plus douce que la vie de ces gens.

« Mêmes pas mal », aux éditions L est un acte de résistance, tout comme l’est aussi, à un autre niveau, le fait d’organiser une exposition et un vernissage pour une agence immobilière. Puisse le petit livre rouge de Thierry Théolier se diffuser aussi largement que celui de son illustre prédécesseur, le Président Mao-Tsé-Dong qui, toutefois, a largement bénéficié de procédés de vente forcée.

Et que la pensée anticonformiste inonde le monde comme elle aurait pu le faire avec le mouvement punk originel s’il n’avait pas été récupéré et institutionnalisé entre temps.

Exposition collective à l’Agence Principale, jusqu’au 15 septembre 2025
au 18 rue Damrémont, 75018 Paris

« Mêmes pas mal » de Thierry Théolier aux éditions L, disponible sur https://editions-l.fr