La chronique d’Arnaud-Louis Chevallier: Anna Marchlewska à la Villa des Créateurs

 NudeoExpo4 Exposition Paris Art Erotique Nu BDSM Fetichisme Dessin Peinture Performance Photographie Sculpture Tatouage Erotic

A la fin du mois d’août, j’ai pris un café dans une petite brasserie à côté de chez moi où officiait, derrière le comptoir, une magnifique jeune fille blonde aux yeux bleus, avec qui j’ai un peu discuté. Elle travaillait d’habitude dans un bar de la rue des Dames, près de la place de Clichy, et venait de Tahiti pour étudier le tourisme en alternance à Paris.

On a évoqué le choc des cultures entre l’archipel de la Société et notre capitale. On a parlé de la musique qu’on écoute dans les iles. Je me suis étonné qu’elle ressemble plus à une scandinave qu’à une maori. Elle m’a simplement confirmé qu’à l’école comme au lycée, elle était la seule fille blonde aux yeux bleus.

De toute façon, quelle que soit notre origine, nous descendons tous des noirs. Les anthropologues l’ont prouvé, à partir des analyses d’ADN : les premiers humains étaient africains et noirs et les premiers européens l’étaient aussi, avant d’être envahis par des hordes venues d’Asie Centrale, à la peau plus pâle. C’est ensuite, au fil du temps, sur une période de plusieurs dizaines de millénaires, que l’épiderme s’est blanchi sous l’effet conjugué de l’évolution génétique et de la sélection naturelle car, en l’absence de soleil, les peaux claires assimilent mieux la vitamine D.

C’est la rentrée. Nous sommes mi-septembre et j’ai, comme chaque soir, le choix d’aller dans une vingtaine de vernissages. J’opte pour celui d’Anna Marchlewska pour au moins trois raisons : j’apprécie son travail, elle expose à la Villa des Créateurs, que je ne connais pas, et ce lieu, situé au 9 rue Ganneron à Paris, est à deux pas de la rue des Dames où j’aurai peut-être la chance de retrouver ma belle tahitienne atypique.

Sitôt sorti du métro La Fourche, une multitude d’images me reviennent. J’aime bien ce quartier que j’ai assidûment fréquenté il y a quelques décennies, lorsque les frères Chardin, qui gravitaient autour du collectif « En avant comme avant », y avaient hérité d’un hôtel où de gigantesques beuveries étaient improvisées tous les soirs. C’est aussi là, aux caves Lechapellais, qu’ont été organisées les meilleures soirées fétichistes et BDSM de la « Nuit Elastique », où l’on pouvait assister à des scènes aussi improbables que celle d’un scout tenant en laisse un policier en uniforme à quatre pattes, ou encore celle de deux maîtresses jouant au morpion sur le dos d’un soumis qu’elles lacéraient gentiment avec une roulette à découper les pizzas.

Le quartier, autrefois populaire, bruyant et grouillant d’une foule bigarrée et exotique, a beaucoup changé. Il est devenu calme, propret et bourgeois. Les pauvres ont été irrémédiablement chassés vers les banlieues les plus éloignées. Les immeubles ont été réhabilités. Les commerces sont montés en gamme. Et on ne croise plus, essentiellement, que des jeunes cadres dynamiques à la peau bien blanche. C’est le darwinisme de l’explosion du prix du foncier.

Je me dirige vers la Villa de Créateurs. C’est une jolie maison de plain-pied au fond d’une paisible cour. On se sent loin de l’agitation de la ville, même édulcorée comme elle l’est aujourd’hui. Le lieu a ouvert en 2018 et propose des soirées artistiques autour d’expositions, de performances, de projection de films ou d’évènements festifs. Dans la journée, l’espace est loué aux entreprises pour des séminaires. L’ambiance y est chaleureuse et conviviale, à l’image d’Anna Marchlewska, qui expose régulièrement son travail de photographe plasticienne à Paris, mais aussi, comme le souligne sa notice de présentation, à Rome, Venise, Washington, Shanghai, Gdansk (elle est originaire de Pologne) et… Tahiti ! Y aurait-il une connexion, dans un monde parallèle, entre la Polynésie et le métro La Fourche ?

Beaucoup d’œuvres sont exposées, accrochées par proximité des teintes et des techniques utilisées, ce qui confère à l’ensemble une grande harmonie. Après une visite des trois espaces de la villa, je reviens vers une magistrale photographie sur soie en noir et blanc d’1,90m sur 1,30m, qui se termine par deux mètres de franges noires, que l’on peut disposer comme s’il s’agissait d’un liquide qui s’échappait de l’image. L’ensemble s’appelle « Paradis perdu » et représente une superbe jeune femme, noire des pieds à la tête, entièrement nue, au milieu d’une nature abondante mais desséchée.

Pour Anna Marchlewska, il s’agit d’une métaphore sur la flore qu’on détruit, avec une naïade enduite de pétrole qui s’écoule à ses pieds puis sort du cadre et vient inonder jusqu’au plancher. C’est une brillante explication, mais trop politiquement correcte à mon goût. L’intention de l’artiste est une chose, mais l’œuvre qui en résulte peut être interprétée différemment par chacune des personnes qui la contemplent, en fonction de son humeur du moment, de ses désirs, de ses croyances et de son imagination. Tout le monde a raison : c’est la magie de l’Art.

Je contemple longuement la photographie. Je me projette en Adam dans un paradis sous les tropiques, à la végétation luxuriante et où poussent des fruits délicieux. Il y a de l’eau chaude tout autour, et des tas de bestioles exotiques. Ce pourrait bien être à Tahiti. Et puis il y a Eve, lascive, en extase, les yeux mi-clos après avoir regardé le ciel, ou le soleil, ou Dieu lui-même. Est-ce donc cela son pécher originel ? Elle prend à dessein une pose très suggestive. C’est sans doute un appel aux rapports charnels, peut-être diaboliques…

 NudeoExpo4 Exposition Paris Art Erotique Nu BDSM Fetichisme Dessin Peinture Performance Photographie Sculpture Tatouage EroticPhoto Arnaud-Louis Chevallier

Et si Eve était noire ?

Exposition « Miroir d’Avenir » d’Anna Marchlewska à la Villa des Créateurs,
9 rue Ganneron, 75018 Paris
également sur annamarchlewska.com